Etienne Bureau, Directeur Marketing de Novedia Group
Petites et grandes causes
Pas de données, pas d'évolution des mentalités. Pour s'en convaincre il suffit de suivre l'analyse de Hans Rosling sur les différences entre les pays développés et les pays en développement: par manque de données et d'information notre conception est arrêtée sur la situation en 1950 et non sur celle de 2010. Stupéfiant!
Pas de données, pas d'argumentation. J'ai très longtemps pensé qu'en matière de football la meilleure tactique possible était le 4-4-2. Avec le service Chalkboards de The Guardian, je sais que ce n'est pas forcément le cas. En mettant à disposition toutes les données de jeu de tous les match du championnat d'Angleterre, ce service m'a permis de me construire une nouvelle vision du jeu...et d'en débattre évidement!
Critique ou ludique, politique ou économique, complexe ou basique, la donnée est clairement un contenu conversationnel à part. Encore faut-il pouvoir accéder à des données!
Des données à profusion et de plus en plus facilement accessibles
Obtenir de la donnée est de moins en moins un problème. "Raw data now!", ce cri du coeur que Tim Berners, un des pères du web, répète de conférences internationales en conférences internationales est en train de devenir une réalité. Les sources de données publiques se multiplient, avec des provenances très diverses:
• Des sources officielles et institutionnelles: Les gouvernements américains et britanniques, la banque mondiale, les Nations Unies, et bien d'autres, mettent aujourd'hui à dispositions en libre service des données économiques, sociales, démographiques, écologiques...
• Des sources privées: Les services web ouvrent des API vers le coeur de leurs architectures décisionnelles. Rien de plus facile aujourd'hui que d'exploiter les flux fournis par Twitter afin d'analyser les tweets: leurs nombres, les lieux d'émissions, les sujets traités...
• Des sources collectives: Données sur le trafic aérien, sur la pollution, sur les tremblements de terre, sur les dépenses des politiques... des collectifs citoyens organisent des réseaux de crowdsourcing pour collecter et diffuser des données.
• Des sources individuelles avec le développement de pratiques de lifelogging: Certains sportifs mesurent leurs performances à la course, au ski, via le GPS de leur téléphone ou un terminal spécial, et rendent disponibles les informations en ligne.
De la misère dans le monde au temps moyen pour faire 3 tours de piste, les données sont donc de plus en plus là. Il ne reste plus qu'à les exploiter!
Après le "user generated content", le "user generated mining"
La donnée c'est bien mais l'information c'est mieux. Cette transformation nécessite des outils d'exploration, d'analyse, de restitution. C'est désormais le cas. Plus ou moins complexes, plus ou moins libres, plus ou moins riches, plus ou moins intégrées avec un réseau social, des solutions existent déjà:
• d'une part par l'initiative de pure player comme Swivel, Many eyes ou encore Tableau Public,
• mais aussi en provenance d'acteurs majeurs comme Google avec ses API/bibliothèques d'analyse et très bientôt Microsoft avec le lancement de Pivot.
Ces solutions, et c'est très certainement un gage de succès, ne viennent pas se substituer à des réseaux existants. Elles viennent naturellement se proposer comme une extension, un complément, un ajout au sein même d'un blog, dans un tweet, sur un profil Facebook, sur un site web... Il s'agit bien là d'un enabler, une fonctionnalité supplémentaire et non d'un service en soi. Le reality mining est désormais à la portée du plus grand nombre: plus de raison vraiment valable de ne pas exploiter et diffuser les données disponibles.
Les grandes industries de service vont devoir réagir!
Et si cette tendance à l'analyse quantitative ne s'arrêtait pas aux réseaux sociaux mais se propageait aux industries de services présentent sur le web? Banques, opérateurs télécoms, acteurs de la grande distribution...détiennent des volumes importants de données, et n'en font globalement pas profiter leurs clients. A titre personnel, j'ai aujourd'hui une meilleure connaissance et compréhension de mes usages de Google Reader que de mes consommations téléphoniques. Google me donne facilement accès à une page regroupant de manière synthétique mes statistiques des 30 derniers jours, le top des flux consultés...Dans le cas de mon opérateur, j'ai un accès facile à mon relevé d'appels et je peux dans le meilleur des cas trier les appels en fonctions de leur durée...bref, peu d'intérêt. De manière consciente ou inconsciente, les sociétés de services restreignent fortement le potentiel de leurs bases de données. Pourtant, la boîte de Pandore est ouverte dès lors que les informations brutes sont mises à disposition des clients, au travers de leurs espaces clients sur le web. La disponibilité même de ces données crée une demande pour améliorer la visualisation et l'analyse des données. C'est dans ce créneau laissé libre que s'engagent des solutions comme Mint qui propose de collecter, de fédérer et d'analyser les données de comptes bancaires. Le relevé fourni par la banque n'est plus qu'une source de données brutes. La valeur du service réside dans l'agrégation de sources bancaires multiples, dans l'identification de la dépense (transformer le code de transaction de carte bancaire inintelligible en une information claire sur le lieu et la nature de la dépense), dans l'analyse des données (ex: répartitions des dépenses, évolutions et saisonnalités des divers postes...), dans la mise en perspective avec les autres membres de la communauté (ex: "vous depenser en moyenne 12% de plus en transports que la moyenne des clients"), et dans toutes les prestations conseils associés (ex: "quelle est la meilleure offre bancaire du marché étant donné vos besoins de découvert?"). Il semble y avoir là un risque majeur pour les sociétés de service de perdre la relation "conseil" avec leurs clients. Ce risque ne pourra aller qu'en grandissant. Une seule réponse possible: que les sociétés de services fournissent elles-mêmes des environnements analytiques plus avancés, plus poussés, plus communautaires! D'un point de vue technique rien ne s'y oppose vraiment. Les freins sont culturels et corporatistes mais cette évolution est inévitable Si elles ne le font pas c'est peut-être Google qui le fera un jour!
Un nouveau décisionnel dans l'entreprise?
Web social, web des services, pourquoi pas également des conséquences dans le monde de l'entreprise? L'analyse de données, le suivi de la performance sont des sujets traditionnellement ancrés dans le monde de l'entreprise. Les solutions décisionnelles y foisonnent, domaine de prédilection d'éditeurs majeurs (Oracle, Microsoft...). Alors que de nombreux autres domaines de l'entreprise sont très massivement influencés par des usages et technologies issues d'applications grand publique (ex: les portails communautaires, la messagerie instantanée, les smartphones...), le décisionnel reste globalement encore faiblement impacté. Les interfaces sont pauvres, les systèmes sont fermés, les utilisateurs cibles plutôt "experts". Déjà assiégée, tout au moins sur la partie interfaces utilisateurs, cette citadelle décisionnelle pourrait céder sous la pression croissante des solutions grand publiques axées sur:
• Un déploiement en mode "cloud", sans installation d'infrastructure locale,
• La disponibilité de vastes bibliothèques de représentations graphiques développées par les communautés mondiales d'utilisateurs,
• Un développement basé sur des technologies web (HTML5, AJAX, Flash..), facilitant la diffusion et l'intégration dans les portails d'entreprises et les applications métiers.
• Une ouverture des bases de données afin de permettre à des applications et utilisateurs tiers (clients, founisseurs, partenaires...) de pouvoir les exploiter.
Comme toujours, plus les usages seront développés sur le web social, plus la pression sera forte de la part des utilisateurs sur les DSI afin de mettre en oeuvre des solutions similaires. Si on en juge par le nombre croissant de services qui apparaissent chaque jour, et sur les volontés affirmées des acteurs majeurs du web, il est fort à parier que cette pression sera grande. Si cette perspective se réalise, Tim Berners, en plus d'avoir contribué à inventer le web, pourra alors se vanter d'avoir changé à la fois les consciences collectives mais aussi notre relation aux sociétés de service et la façon de prendre des décisions dans le monde de l'entreprise. Plutôt impressionnant comme parcours professionnel.
Pas de données, pas d'évolution des mentalités. Pour s'en convaincre il suffit de suivre l'analyse de Hans Rosling sur les différences entre les pays développés et les pays en développement: par manque de données et d'information notre conception est arrêtée sur la situation en 1950 et non sur celle de 2010. Stupéfiant!
Pas de données, pas d'argumentation. J'ai très longtemps pensé qu'en matière de football la meilleure tactique possible était le 4-4-2. Avec le service Chalkboards de The Guardian, je sais que ce n'est pas forcément le cas. En mettant à disposition toutes les données de jeu de tous les match du championnat d'Angleterre, ce service m'a permis de me construire une nouvelle vision du jeu...et d'en débattre évidement!
Critique ou ludique, politique ou économique, complexe ou basique, la donnée est clairement un contenu conversationnel à part. Encore faut-il pouvoir accéder à des données!
Des données à profusion et de plus en plus facilement accessibles
Obtenir de la donnée est de moins en moins un problème. "Raw data now!", ce cri du coeur que Tim Berners, un des pères du web, répète de conférences internationales en conférences internationales est en train de devenir une réalité. Les sources de données publiques se multiplient, avec des provenances très diverses:
• Des sources officielles et institutionnelles: Les gouvernements américains et britanniques, la banque mondiale, les Nations Unies, et bien d'autres, mettent aujourd'hui à dispositions en libre service des données économiques, sociales, démographiques, écologiques...
• Des sources privées: Les services web ouvrent des API vers le coeur de leurs architectures décisionnelles. Rien de plus facile aujourd'hui que d'exploiter les flux fournis par Twitter afin d'analyser les tweets: leurs nombres, les lieux d'émissions, les sujets traités...
• Des sources collectives: Données sur le trafic aérien, sur la pollution, sur les tremblements de terre, sur les dépenses des politiques... des collectifs citoyens organisent des réseaux de crowdsourcing pour collecter et diffuser des données.
• Des sources individuelles avec le développement de pratiques de lifelogging: Certains sportifs mesurent leurs performances à la course, au ski, via le GPS de leur téléphone ou un terminal spécial, et rendent disponibles les informations en ligne.
De la misère dans le monde au temps moyen pour faire 3 tours de piste, les données sont donc de plus en plus là. Il ne reste plus qu'à les exploiter!
Après le "user generated content", le "user generated mining"
La donnée c'est bien mais l'information c'est mieux. Cette transformation nécessite des outils d'exploration, d'analyse, de restitution. C'est désormais le cas. Plus ou moins complexes, plus ou moins libres, plus ou moins riches, plus ou moins intégrées avec un réseau social, des solutions existent déjà:
• d'une part par l'initiative de pure player comme Swivel, Many eyes ou encore Tableau Public,
• mais aussi en provenance d'acteurs majeurs comme Google avec ses API/bibliothèques d'analyse et très bientôt Microsoft avec le lancement de Pivot.
Ces solutions, et c'est très certainement un gage de succès, ne viennent pas se substituer à des réseaux existants. Elles viennent naturellement se proposer comme une extension, un complément, un ajout au sein même d'un blog, dans un tweet, sur un profil Facebook, sur un site web... Il s'agit bien là d'un enabler, une fonctionnalité supplémentaire et non d'un service en soi. Le reality mining est désormais à la portée du plus grand nombre: plus de raison vraiment valable de ne pas exploiter et diffuser les données disponibles.
Les grandes industries de service vont devoir réagir!
Et si cette tendance à l'analyse quantitative ne s'arrêtait pas aux réseaux sociaux mais se propageait aux industries de services présentent sur le web? Banques, opérateurs télécoms, acteurs de la grande distribution...détiennent des volumes importants de données, et n'en font globalement pas profiter leurs clients. A titre personnel, j'ai aujourd'hui une meilleure connaissance et compréhension de mes usages de Google Reader que de mes consommations téléphoniques. Google me donne facilement accès à une page regroupant de manière synthétique mes statistiques des 30 derniers jours, le top des flux consultés...Dans le cas de mon opérateur, j'ai un accès facile à mon relevé d'appels et je peux dans le meilleur des cas trier les appels en fonctions de leur durée...bref, peu d'intérêt. De manière consciente ou inconsciente, les sociétés de services restreignent fortement le potentiel de leurs bases de données. Pourtant, la boîte de Pandore est ouverte dès lors que les informations brutes sont mises à disposition des clients, au travers de leurs espaces clients sur le web. La disponibilité même de ces données crée une demande pour améliorer la visualisation et l'analyse des données. C'est dans ce créneau laissé libre que s'engagent des solutions comme Mint qui propose de collecter, de fédérer et d'analyser les données de comptes bancaires. Le relevé fourni par la banque n'est plus qu'une source de données brutes. La valeur du service réside dans l'agrégation de sources bancaires multiples, dans l'identification de la dépense (transformer le code de transaction de carte bancaire inintelligible en une information claire sur le lieu et la nature de la dépense), dans l'analyse des données (ex: répartitions des dépenses, évolutions et saisonnalités des divers postes...), dans la mise en perspective avec les autres membres de la communauté (ex: "vous depenser en moyenne 12% de plus en transports que la moyenne des clients"), et dans toutes les prestations conseils associés (ex: "quelle est la meilleure offre bancaire du marché étant donné vos besoins de découvert?"). Il semble y avoir là un risque majeur pour les sociétés de service de perdre la relation "conseil" avec leurs clients. Ce risque ne pourra aller qu'en grandissant. Une seule réponse possible: que les sociétés de services fournissent elles-mêmes des environnements analytiques plus avancés, plus poussés, plus communautaires! D'un point de vue technique rien ne s'y oppose vraiment. Les freins sont culturels et corporatistes mais cette évolution est inévitable Si elles ne le font pas c'est peut-être Google qui le fera un jour!
Un nouveau décisionnel dans l'entreprise?
Web social, web des services, pourquoi pas également des conséquences dans le monde de l'entreprise? L'analyse de données, le suivi de la performance sont des sujets traditionnellement ancrés dans le monde de l'entreprise. Les solutions décisionnelles y foisonnent, domaine de prédilection d'éditeurs majeurs (Oracle, Microsoft...). Alors que de nombreux autres domaines de l'entreprise sont très massivement influencés par des usages et technologies issues d'applications grand publique (ex: les portails communautaires, la messagerie instantanée, les smartphones...), le décisionnel reste globalement encore faiblement impacté. Les interfaces sont pauvres, les systèmes sont fermés, les utilisateurs cibles plutôt "experts". Déjà assiégée, tout au moins sur la partie interfaces utilisateurs, cette citadelle décisionnelle pourrait céder sous la pression croissante des solutions grand publiques axées sur:
• Un déploiement en mode "cloud", sans installation d'infrastructure locale,
• La disponibilité de vastes bibliothèques de représentations graphiques développées par les communautés mondiales d'utilisateurs,
• Un développement basé sur des technologies web (HTML5, AJAX, Flash..), facilitant la diffusion et l'intégration dans les portails d'entreprises et les applications métiers.
• Une ouverture des bases de données afin de permettre à des applications et utilisateurs tiers (clients, founisseurs, partenaires...) de pouvoir les exploiter.
Comme toujours, plus les usages seront développés sur le web social, plus la pression sera forte de la part des utilisateurs sur les DSI afin de mettre en oeuvre des solutions similaires. Si on en juge par le nombre croissant de services qui apparaissent chaque jour, et sur les volontés affirmées des acteurs majeurs du web, il est fort à parier que cette pression sera grande. Si cette perspective se réalise, Tim Berners, en plus d'avoir contribué à inventer le web, pourra alors se vanter d'avoir changé à la fois les consciences collectives mais aussi notre relation aux sociétés de service et la façon de prendre des décisions dans le monde de l'entreprise. Plutôt impressionnant comme parcours professionnel.