Photo Taras Chernus / Unsplash
« Entre le 16 et le 17 mai, 483, nouveaux décès liés au coronavirus ont été recensés en France, dont 429 en Ehpad, du fait d’une actualisation des données remontées par les Agences régionales de santé, indique ce dimanche la Direction générale de la santé », explique BFM TV. « Une actualisation des données remontées par les Agences régionales de santé », quelle belle paraphrase pour ne pas avouer des erreurs dans les données communiquées, et une absence de contrôle de la qualité des données. De quelle erreur parle-t-on entre les données du 16 mai et celles du 17 mai ? D’environ 400 décès… c’est-à-dire environ 4 % des décès depuis le début de l’épidémie en France, le 1er mars. 4 %, est-ce une marge d’erreur acceptable en entreprise ? Votre CA est-il juste à 4 % près dans votre tableau de bord ?
Examinons le processus… froidement… Quand quelqu’un décède dans un hôpital ou dans un Ehpad, son décès est constaté, c’est le terme officiel. « Le constat de décès, quel que soit le lieu de la mort, est établi par un médecin. ... S'il s'agit d'une personne âgée vivant dans une maison de retraite, un EPHAD, un établissement privé, c'est le médecin de l'établissement en question qui établira le certificat médical constatant le décès », explique le site Obseques-infos.com. C’est donc, heureusement, un processus humain, manuel, diligenté par un médecin assermenté pour cela. Il n’y a pas d’objet connecté qui détecte le décès d’une personne, et génèrerait une donnée automatique… ou pas encore.
A l’hôpital, pas trop de problème, il y a certainement des médecins en permanence. Mais dans certains Ehpad, peut-être que le décès d’une personne ne peut-il être constaté qu’une fois le médecin arrivé. Cela génère un premier décalage dans les données.
Mais le médecin se contente de signer le certificat de décès. Comment les données remontent-elles ensuite jusqu’au tableau de bord du Directeur général de la santé.
Le processus est complexe, et certainement encore très manuel. A l’hôpital, on peut imaginer que le décès d’une personne, une fois constaté par le médecin, déclenche une série de procédures (déplacement du corps, information de la famille, libération du lit… et plus pragmatiquement, facturation des derniers actes…). Il y a certainement saisie de la cause du décès. Complexité liée au Covid-19, il n’est pas forcément la cause finale du décès. La cause peut être un arrêt cardiaque, une insuffisance respiratoire, etc. Il a fallu donc, en parallèle, recenser les décès de patients positifs au virus, même si la cause directe du décès est différente. Impensable que l’agilité des systèmes d’information de santé ait permis de créer ces nouvelles cases en quelques jours dans un système si complexe. Il y a de grandes chances que le processus soit manuel. Sans doute une feuille Excel, dans chacun des services, compilée ensuite au niveau supérieur, puis envoyée à l’Agence régionale, qui compile ensuite pour la Direction générale… que de compilations sources d’erreurs.
Mais finalement le système est sans doute mieux organisé que dans les Ehpad. Ces structures sont toujours en tension en matière de personnel. Les personnels de santé sont plus préoccupés par les patients que par la remontée des chiffres, et heureusement.
Nous avons déjà souligné la possibilité d’un retard lié à la constatation du décès par le médecin. S’ajoute ensuite un retard « administratif ». Un Ehpad ne fonctionne pas 24h/24 du point de vue administratif. Sans doute un décès constaté un vendredi soir, ou la veille d’un jour férié, ne sera-t-il « enregistré » que deux jours après.
A cette différence de calendrier, s’ajoute un aspect « communication ». Beaucoup d’Ehpad sont des structures privées (57 %), qui facturent parfois plusieurs centaines d’euros par jour à leurs clients. Étant donné les caractéristiques de propagation du virus, et le coût des mesures de prévention de contamination dans un établissement, certains Ehpad sont tentés de rester discrets. Informer l’ensemble des familles de l’occurrence de décès liés au Covid-19, c’est prendre le risque qu’elles s’inquiètent, qu’elles critiquent les mesures prises, voir même qu’elles constituent un dossier à présenter à un tribunal dans le futur… Cacher le Covid-19 n’est pas si compliqué. D’abord, il suffit de ne pas trop tester… Et puis si une personne de plus de 80 ans décède une nuit, comment attribuer ce décès. Il « suffit » d’éviter de cocher une case…
Ces données sont ensuite envoyées par différents canaux : fichiers Excel envoyés par email, formulaire en ligne, et même peut-être par télécopie pour certains petits Ehpad. Autant de sources d’erreurs supplémentaires lors de la retranscription des données dans le système central.
Quels sont les moyens de contrôle de qualité de la donnée de la Direction générale de la santé ? A peu près aucun. Comment détecter une erreur matérielle, volontaire ou involontaire, dans la saisie d’une information ? Les Agences régionales compilent les chiffres remontant des 7200 Ehpad ; elles ne disposent que de moyens très sommaires de contrôles de cohérence. Et si un Ehpad ne déclare pas de décès liés au Covid-19, comment vérifier ce qui n’a pas été déclaré ?
En résumé, on comprend bien comment le tableau de bord du Directeur général de la santé se retrouve amputé de plusieurs centaines de décès. Et c’est très inquiétant. Car dans la période de fin progressive d’épidémie que nous espérons vivre, « quelques centaines » de décès en plus ou en moins, et c’est toute la stratégie de déconfinement du gouvernement qui peut être modifiée ! Le lien est donc direct, entre le personnel administratif qui saisit, ou pas, une donnée dans Excel, et la politique décidée au plus haut niveau de l’État.
Intéressant… car dans l’entreprise c’est exactement la même chose. Les directions générales ne se rendent pas bien compte que l’investissement devrait beaucoup plus porter sur la qualité des données, que sur de beaux graphiques. En tous cas, il faudrait commencer par qualifier les données, avant de chercher à les visualiser. Sensibilisation des utilisateurs (ceux qui saisissent), acculturation à la donnée pour faire comprendre les enjeux, mise en place de procédures de contrôles (manuels et automatiques), etc. Et affecter des moyens humains à l’amélioration du niveau de qualité des données. Qui sont les « data stewards » des Agences régionales de santé ? Combien sont-ils ? Quels sont leurs moyens de contrôle ? Il y a bien une Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, mais quels sont les moyens mis au plus bas niveau dans les contrôles de qualité ? Les entreprises réclament sans cesse des « use case », ou des « REX » comme il est devenu à la mode de les nommer. Et bien en voici un, et un beau, avec cette remontée des données des décès du bureau administratif de chaque Ehpad, jusqu’au sommet du gouvernement.
Dans votre entreprise, si vous ne voulez pas que votre directeur général prenne des décisions basées sur des données contenant 4 % d’erreurs, vous devez investir des ressources, des efforts et un peu d’argent, sur les phases initiales de saisie et de contrôle des données. Les méthodes et les outils existent. A vous de ne pas fermer les yeux !
Examinons le processus… froidement… Quand quelqu’un décède dans un hôpital ou dans un Ehpad, son décès est constaté, c’est le terme officiel. « Le constat de décès, quel que soit le lieu de la mort, est établi par un médecin. ... S'il s'agit d'une personne âgée vivant dans une maison de retraite, un EPHAD, un établissement privé, c'est le médecin de l'établissement en question qui établira le certificat médical constatant le décès », explique le site Obseques-infos.com. C’est donc, heureusement, un processus humain, manuel, diligenté par un médecin assermenté pour cela. Il n’y a pas d’objet connecté qui détecte le décès d’une personne, et génèrerait une donnée automatique… ou pas encore.
A l’hôpital, pas trop de problème, il y a certainement des médecins en permanence. Mais dans certains Ehpad, peut-être que le décès d’une personne ne peut-il être constaté qu’une fois le médecin arrivé. Cela génère un premier décalage dans les données.
Mais le médecin se contente de signer le certificat de décès. Comment les données remontent-elles ensuite jusqu’au tableau de bord du Directeur général de la santé.
Le processus est complexe, et certainement encore très manuel. A l’hôpital, on peut imaginer que le décès d’une personne, une fois constaté par le médecin, déclenche une série de procédures (déplacement du corps, information de la famille, libération du lit… et plus pragmatiquement, facturation des derniers actes…). Il y a certainement saisie de la cause du décès. Complexité liée au Covid-19, il n’est pas forcément la cause finale du décès. La cause peut être un arrêt cardiaque, une insuffisance respiratoire, etc. Il a fallu donc, en parallèle, recenser les décès de patients positifs au virus, même si la cause directe du décès est différente. Impensable que l’agilité des systèmes d’information de santé ait permis de créer ces nouvelles cases en quelques jours dans un système si complexe. Il y a de grandes chances que le processus soit manuel. Sans doute une feuille Excel, dans chacun des services, compilée ensuite au niveau supérieur, puis envoyée à l’Agence régionale, qui compile ensuite pour la Direction générale… que de compilations sources d’erreurs.
Mais finalement le système est sans doute mieux organisé que dans les Ehpad. Ces structures sont toujours en tension en matière de personnel. Les personnels de santé sont plus préoccupés par les patients que par la remontée des chiffres, et heureusement.
Nous avons déjà souligné la possibilité d’un retard lié à la constatation du décès par le médecin. S’ajoute ensuite un retard « administratif ». Un Ehpad ne fonctionne pas 24h/24 du point de vue administratif. Sans doute un décès constaté un vendredi soir, ou la veille d’un jour férié, ne sera-t-il « enregistré » que deux jours après.
A cette différence de calendrier, s’ajoute un aspect « communication ». Beaucoup d’Ehpad sont des structures privées (57 %), qui facturent parfois plusieurs centaines d’euros par jour à leurs clients. Étant donné les caractéristiques de propagation du virus, et le coût des mesures de prévention de contamination dans un établissement, certains Ehpad sont tentés de rester discrets. Informer l’ensemble des familles de l’occurrence de décès liés au Covid-19, c’est prendre le risque qu’elles s’inquiètent, qu’elles critiquent les mesures prises, voir même qu’elles constituent un dossier à présenter à un tribunal dans le futur… Cacher le Covid-19 n’est pas si compliqué. D’abord, il suffit de ne pas trop tester… Et puis si une personne de plus de 80 ans décède une nuit, comment attribuer ce décès. Il « suffit » d’éviter de cocher une case…
Ces données sont ensuite envoyées par différents canaux : fichiers Excel envoyés par email, formulaire en ligne, et même peut-être par télécopie pour certains petits Ehpad. Autant de sources d’erreurs supplémentaires lors de la retranscription des données dans le système central.
Quels sont les moyens de contrôle de qualité de la donnée de la Direction générale de la santé ? A peu près aucun. Comment détecter une erreur matérielle, volontaire ou involontaire, dans la saisie d’une information ? Les Agences régionales compilent les chiffres remontant des 7200 Ehpad ; elles ne disposent que de moyens très sommaires de contrôles de cohérence. Et si un Ehpad ne déclare pas de décès liés au Covid-19, comment vérifier ce qui n’a pas été déclaré ?
En résumé, on comprend bien comment le tableau de bord du Directeur général de la santé se retrouve amputé de plusieurs centaines de décès. Et c’est très inquiétant. Car dans la période de fin progressive d’épidémie que nous espérons vivre, « quelques centaines » de décès en plus ou en moins, et c’est toute la stratégie de déconfinement du gouvernement qui peut être modifiée ! Le lien est donc direct, entre le personnel administratif qui saisit, ou pas, une donnée dans Excel, et la politique décidée au plus haut niveau de l’État.
Intéressant… car dans l’entreprise c’est exactement la même chose. Les directions générales ne se rendent pas bien compte que l’investissement devrait beaucoup plus porter sur la qualité des données, que sur de beaux graphiques. En tous cas, il faudrait commencer par qualifier les données, avant de chercher à les visualiser. Sensibilisation des utilisateurs (ceux qui saisissent), acculturation à la donnée pour faire comprendre les enjeux, mise en place de procédures de contrôles (manuels et automatiques), etc. Et affecter des moyens humains à l’amélioration du niveau de qualité des données. Qui sont les « data stewards » des Agences régionales de santé ? Combien sont-ils ? Quels sont leurs moyens de contrôle ? Il y a bien une Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, mais quels sont les moyens mis au plus bas niveau dans les contrôles de qualité ? Les entreprises réclament sans cesse des « use case », ou des « REX » comme il est devenu à la mode de les nommer. Et bien en voici un, et un beau, avec cette remontée des données des décès du bureau administratif de chaque Ehpad, jusqu’au sommet du gouvernement.
Dans votre entreprise, si vous ne voulez pas que votre directeur général prenne des décisions basées sur des données contenant 4 % d’erreurs, vous devez investir des ressources, des efforts et un peu d’argent, sur les phases initiales de saisie et de contrôle des données. Les méthodes et les outils existent. A vous de ne pas fermer les yeux !
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