Données / estimations / décisions / actions et la difficulté du facteur humain


Rédigé par le 7 Février 2022

Recommandations méthodologiques pour mener des actions.



Dans son livre « L’art de la Guerre », Sun Tzu (Ve siècle av. J.-C.) recommande de ne pas s’engager dans un combat sans avoir fait de nombreux calculs, et dit notamment : « Si les supputations effectuées avant les hostilités laissent présager une victoire, c’est que les estimations indiquent une puissance supérieure ».

Les estimations consistent à juger, apprécier, évaluer quelque chose, une action envisagée par exemple. Les estimations sont des projections basées sur l'expérience et les informations disponibles au moment des supputations. Les estimations sont nécessaires pour prendre de bonnes décisions, pour planifier des actions, en déterminer la durée et leur coût, déterminer si des actions en valent la peine …

Pour faire les bonnes supputations, il convient de demander à des personnes familiarisées avec le problème en question de faire l'estimation. Il est même recommandé pour les cas importants de faire appel à plusieurs personnes. Il existe des méthodes (analogie, consensus de groupe, relations mathématiques …), des approches Macro (approches descendantes, privilégiées en matière de stratégie et en cas d’incertitude élevée) et Micro (ascendantes). Enfin à un moment donné, il faut tenir compte des risques, abordés séparément dans un premier temps, et des imprévus.

En matière de combat, Sun Tzu dit qu’il faut évaluer les forces en présence en analysant cinq facteurs fondamentaux : l’influence morale, c’est-à-dire le fait que le peuple est en harmonie avec ses dirigeants ; la compétence du commandement en chef ; l’organisation de l’armée, dont ses approvisionnements ; le terrain ; les conditions météorologiques.

L’histoire montre que les recommandations ne sont pas toujours suivies

Force est de constater toutefois que des guerres ont été engagées par des dirigeants qui ne suivaient pas les recommandations de Sun Tzu, c’est le cas par exemple de l’Allemagne et du Japon pendant la Deuxième Guerre mondiale qui à la vue de leur situation respective au début des hostilités n’avaient pas la puissance supérieure nécessaire pour vaincre (Cf : mon article : Histoire, données chiffrées et infographie. C’est aussi le cas pour la guerre de Sécession (12/4/1861 - 9/4/1865) qui a vu s’affronter le Nord des États-Unis d’Amérique (21 millions d’habitants) et le Sud (9 millions d’habitants, dont 4 millions d’esclaves).

C’est le Sud qui a engagé le premier les combats, on recensera environ 10 000 affrontements mineurs et 391 batailles, dont 22 principales et/ou stratégiquement/symboliquement importantes. Sur ces 22, le Nord en a gagné 12 et le Sud 10, dont 5 fois alors qu’il était en forte infériorité numérique, comme en particulier à la bataille de Chancellorsville où le Sud se bat & gagne à un contre deux. Cependant il faut noter finalement les lourdes pertes du Sud pour l’ensemble de la guerre avec 21% des soldats engagés perdus contre 17% pour le Nord. Globalement la guerre de Sécession a fait 600 000 morts (~2% de la population).

Dans les deux camps, les populations ont largement soutenu leurs dirigeants, même si les désertions ont été beaucoup plus fortes au Nord notamment les premières années, alors qu’au Sud beaucoup d’esclaves en ont profité pour s’évader des plantations et parfois s’engager dans les troupes nordistes. Au Nord il faudra attendre juillet 1864 pour que les soldats noirs soient payés comme les blancs et mars 1865 pour que l’abolition de l’esclavage soit validée par les états. Au Sud début 1865, le Général Lee ira jusqu’à demander de pouvoir engager des esclaves en leur promettant la liberté.

Tous les historiens s’accordent pour reconnaître la supériorité des généraux sudistes qui avec des armées souvent très dépareillées et en infériorité numérique ont obtenu de nombreuses victoires. Mais le temps jouait en faveur du Nord, de sa plus nombreuse population, de sa puissance économique. Cependant, il faudra attendre la bataille de la Wilderness mai 1864, pour que la première fois depuis le début de la guerre, un général nordiste (Grant), malgré de lourdes pertes (17 000 nordistes contre 10 000 sudistes), n’ayant pas gagné une bataille, ne batte pas en retraite et se prépare à engager une autre bataille.

Le point difficile des estimations est toujours le facteur humain

Pour en revenir aux estimations, les difficultés viennent généralement du comportement humain qui bien qu’il puisse être normalement prédit avec une précision raisonnable, est toujours source de grande incertitude tant en matière d’analyse, de décision ou d’action. De très nombreux facteurs influencent le comportement des hommes et il est souvent laborieux de tous les prendre en compte. De plus indépendamment de leur expérience, de leur intelligence, de leur motivation ou de leur vigilance, les hommes font des erreurs. Par exemple, 70% des accidents d’avion sont dus à des erreurs humaines. Une société sans erreur est inconcevable et il y a des situations qui peuvent augmenter la probabilité d’erreur : maladie, fatigue, stress …

Complexe à prévoir, faisant des erreurs, l’homme fait souvent mentir les estimations, en sous-performant, mais aussi en surperformant. Sun Tzu conseille au général de se méfier de la surperformance possible de l’adversaire et dit « à un ennemi cerné il faut laisser une issue (ne poussez pas à bout un ennemi aux abois) ».

Pour aller plus loin sur un facteur humain perturbant, vous pouvez utilement consulter mon article : Nous sommes tous impactés par nos propres biais cognitifs



Dans la même rubrique :