Je débute l’écriture de ce billet à 22h30, quelque part entre Miami et Dallas, sans savoir si je dormirai ce soir dans un aéroport ou dans un lit, mais certain que j’ai déjà perdu près de la moitié de mon court voyage d’affaires, grâce à American Airlines.
Plus que les communiqués de presse, la vraie vie est le reflet de la réalité d’une entreprise; en particulier de ses dysfonctionnements et de l’esprit d’entreprise qui y règne, ou pas.
Cet article est dédié aux 27 participants, analystes et autres « senior management » de American Airlines, inscrits à la conférence Tableau TC17 de Las Vegas. Ils y parleront d’indicateurs, de chiffres, de rapports et d’analyses, mais tout cela restera, pour eux et leurs graphiques, déconnecté de la vie réelle de leur entreprise. Et comme ils ne lisent certainement pas le français, cette lettre ouverte a peu de chances de leur parvenir. Pourtant, plutôt que de se rendre en masse à Las Vegas, ils devraient se pencher sur l’expérience client qu’offre American Airlines à ses clients, dans la vraie vie.
Pour situer le contexte, j’arrive à Miami ce lundi comme prévu vers 15h. Aucun problème à l’immigration, je récupère mon bagage, et je me dirige vers mon prochain vol, à destination de Dallas. Prévu à 17h, nous embarquons, quittons la porte une première fois, puis après une première demi-heure d’attente sans explications, nous revenons à la porte d’embarquement apparemment chercher une retardataire. Nouveau départ, mais après le push-back, nouveau problème, il semble que le réacteur gauche refuse de s’allumer. De nouveau retour à la porte, pas d’informations, attente dans l’avion et finalement une heure après, on nous conseille de débarquer, et de discuter de notre futur avec le seul agent présent au comptoir. Premier constat, l’équipage ne se sent absolument pas concerné, et semble pressé de confier ses passagers au suivant. Le suivant n’en sachant pas plus, incapable de trouver une solution pour ces dizaines de passagers abandonnés, renvoie tout le monde vers le centre d’appels de l’entreprise. A chacun de se débrouiller, c’est cela l’esprit d’entreprise chez American Airlines. Ayant finalement pu rencontrer Lisette au comptoir « rebooking », je discute avec une personne qui semble, elle aussi, pressée de se débarrasser de ses passagers. « Prenez le prochain vol pour Dallas. Ils s’occuperont de vous à Dallas ». J’ai beau lui rappeler qu’un vol direct est disponible une heure après, son seul souci semble de transférer le problème au suivant.
Une fois arrivé à Dallas, le problème de dizaines de passagers retombe donc entre les mains du suivant. Un « suivant » qui, à plus de 23 heures, ne peut passer la patate chaude à personne et doit trouver les solutions. Sachant que les passagers proviennent d’une vol qui aurait du partir 6 heures avant, pensez-vous que American Airlines ait anticipé, réservé des hôtels, des navettes, des sandwichs… Non, rien de tout cela, l’information ne semble pas passer d’un aéroport à l’autre, à l’intérieur de la même compagnie. American Airlines préfère créer l’insatisfaction, qui peut se calculer par une équation simple : 50 passagers x 5 minutes par passager / 2 personnes = environ 2 heures d’attente. Cinq minutes nécessaires pour imprimer un bon de 12$ pour le dîner (dans un aéroport vide, à minuit), et 7$ pour le petit-déjeuner, qui est le cadet de vos soucis si vous n’avez pas les moyens de payer votre chambre d’hôtel, ou si vous n’en trouvez plus de disponible à cette heure-là.
Plus que les communiqués de presse, la vraie vie est le reflet de la réalité d’une entreprise; en particulier de ses dysfonctionnements et de l’esprit d’entreprise qui y règne, ou pas.
Cet article est dédié aux 27 participants, analystes et autres « senior management » de American Airlines, inscrits à la conférence Tableau TC17 de Las Vegas. Ils y parleront d’indicateurs, de chiffres, de rapports et d’analyses, mais tout cela restera, pour eux et leurs graphiques, déconnecté de la vie réelle de leur entreprise. Et comme ils ne lisent certainement pas le français, cette lettre ouverte a peu de chances de leur parvenir. Pourtant, plutôt que de se rendre en masse à Las Vegas, ils devraient se pencher sur l’expérience client qu’offre American Airlines à ses clients, dans la vraie vie.
Pour situer le contexte, j’arrive à Miami ce lundi comme prévu vers 15h. Aucun problème à l’immigration, je récupère mon bagage, et je me dirige vers mon prochain vol, à destination de Dallas. Prévu à 17h, nous embarquons, quittons la porte une première fois, puis après une première demi-heure d’attente sans explications, nous revenons à la porte d’embarquement apparemment chercher une retardataire. Nouveau départ, mais après le push-back, nouveau problème, il semble que le réacteur gauche refuse de s’allumer. De nouveau retour à la porte, pas d’informations, attente dans l’avion et finalement une heure après, on nous conseille de débarquer, et de discuter de notre futur avec le seul agent présent au comptoir. Premier constat, l’équipage ne se sent absolument pas concerné, et semble pressé de confier ses passagers au suivant. Le suivant n’en sachant pas plus, incapable de trouver une solution pour ces dizaines de passagers abandonnés, renvoie tout le monde vers le centre d’appels de l’entreprise. A chacun de se débrouiller, c’est cela l’esprit d’entreprise chez American Airlines. Ayant finalement pu rencontrer Lisette au comptoir « rebooking », je discute avec une personne qui semble, elle aussi, pressée de se débarrasser de ses passagers. « Prenez le prochain vol pour Dallas. Ils s’occuperont de vous à Dallas ». J’ai beau lui rappeler qu’un vol direct est disponible une heure après, son seul souci semble de transférer le problème au suivant.
Une fois arrivé à Dallas, le problème de dizaines de passagers retombe donc entre les mains du suivant. Un « suivant » qui, à plus de 23 heures, ne peut passer la patate chaude à personne et doit trouver les solutions. Sachant que les passagers proviennent d’une vol qui aurait du partir 6 heures avant, pensez-vous que American Airlines ait anticipé, réservé des hôtels, des navettes, des sandwichs… Non, rien de tout cela, l’information ne semble pas passer d’un aéroport à l’autre, à l’intérieur de la même compagnie. American Airlines préfère créer l’insatisfaction, qui peut se calculer par une équation simple : 50 passagers x 5 minutes par passager / 2 personnes = environ 2 heures d’attente. Cinq minutes nécessaires pour imprimer un bon de 12$ pour le dîner (dans un aéroport vide, à minuit), et 7$ pour le petit-déjeuner, qui est le cadet de vos soucis si vous n’avez pas les moyens de payer votre chambre d’hôtel, ou si vous n’en trouvez plus de disponible à cette heure-là.
Ayant plus que le temps de réfléchir, je me suis alors posé la question des indicateurs. Quel est l’indicateur de mesure de la qualité du travail de Lisette et des autres employés du service client de Miami ? Est-ce la satisfaction du client, ou ne serait-ce pas plutôt d’avoir à gérer le minimum de problèmes, et de dépenser le moins possible d’argent ?
Si Lisette prend en charge ma situation, elle satisfait un client, ce qui n’apparaît sans doute pas dans son tableau de bord. Mais elle doit résoudre un problème, éventuellement imputer une surcharge de tarif sur son budget, ou une nuit d’hôtel, etc. Alors qu’en renvoyant le passager vers Dallas, elle transfère le problème à Dallas. Bien sur, elle ne s’inquiète pas de la satisfaction finale du passager, ou du coût global pour la compagnie. Seul son indicateur personnel la concerne. Elle ne se sent pas non plus responsable du fait que le retard initial est bien de la responsabilité de Miami. Elle passe le problème au suivant. Pourquoi ?
• Premièrement parce que le tableau de bord de Lisette est local. Il ne prend pas en compte une vision 360 du client ou des opérations de l’entreprise. Pourquoi agirait-elle, alors que ce n’est pas dans son périmètre. C’est pourtant la satisfaction globale, et le coût global qui sont intéressants à suivre pour l’entreprise. American Airlines devrait se pencher sur les diagrammes d’Ishikawa, les diagrammes de causes à effet, qui permettent de mesurer et de comprendre les phénomènes complexes imbriqués.
• Deuxièmement, son tableau de bord est certainement axé sur les dépenses. Prendre en charge un client suite à un problème coûte de l’argent. Le tableau de bord du service client ne tient sans doute pas compte du revenu généré par le client, mais uniquement des charges imputées à la résolution du problème. Il ne tient pas non plus compte de la perte potentielle liée à l’insatisfaction client. Encore un manque de vision globale.
• Et finalement ce tableau de bord n’intègre en rien la satisfaction client. C’est pourtant un élément fondamental, qui viendrait au crédit des dépenses engagées.
Des entreprises en ligne, comme Zappos, ont comme objectif de toujours sur-satisfaire. Le client doit ressentir un effet Waooo. Il doit se sentir important, compris, apprécié. Surtout lorsqu’il est à un clic de passer à la concurrence. Dans le cadre d’une entente informelle, les compagnies d’aviation, tout comme celles de télécommunications mobiles par exemple, ont choisi de toujours sous-satisfaire. Cela fonctionne pour l’instant. Et de toutes façons, la satisfaction à long terme n’est dans le tableau de bord d’aucun employé de American Airlines.
Si Lisette prend en charge ma situation, elle satisfait un client, ce qui n’apparaît sans doute pas dans son tableau de bord. Mais elle doit résoudre un problème, éventuellement imputer une surcharge de tarif sur son budget, ou une nuit d’hôtel, etc. Alors qu’en renvoyant le passager vers Dallas, elle transfère le problème à Dallas. Bien sur, elle ne s’inquiète pas de la satisfaction finale du passager, ou du coût global pour la compagnie. Seul son indicateur personnel la concerne. Elle ne se sent pas non plus responsable du fait que le retard initial est bien de la responsabilité de Miami. Elle passe le problème au suivant. Pourquoi ?
• Premièrement parce que le tableau de bord de Lisette est local. Il ne prend pas en compte une vision 360 du client ou des opérations de l’entreprise. Pourquoi agirait-elle, alors que ce n’est pas dans son périmètre. C’est pourtant la satisfaction globale, et le coût global qui sont intéressants à suivre pour l’entreprise. American Airlines devrait se pencher sur les diagrammes d’Ishikawa, les diagrammes de causes à effet, qui permettent de mesurer et de comprendre les phénomènes complexes imbriqués.
• Deuxièmement, son tableau de bord est certainement axé sur les dépenses. Prendre en charge un client suite à un problème coûte de l’argent. Le tableau de bord du service client ne tient sans doute pas compte du revenu généré par le client, mais uniquement des charges imputées à la résolution du problème. Il ne tient pas non plus compte de la perte potentielle liée à l’insatisfaction client. Encore un manque de vision globale.
• Et finalement ce tableau de bord n’intègre en rien la satisfaction client. C’est pourtant un élément fondamental, qui viendrait au crédit des dépenses engagées.
Des entreprises en ligne, comme Zappos, ont comme objectif de toujours sur-satisfaire. Le client doit ressentir un effet Waooo. Il doit se sentir important, compris, apprécié. Surtout lorsqu’il est à un clic de passer à la concurrence. Dans le cadre d’une entente informelle, les compagnies d’aviation, tout comme celles de télécommunications mobiles par exemple, ont choisi de toujours sous-satisfaire. Cela fonctionne pour l’instant. Et de toutes façons, la satisfaction à long terme n’est dans le tableau de bord d’aucun employé de American Airlines.
La culture nord-américaine relie intimement travail quotidien et indicateurs; j’ai pu en constater les effets néfastes sur l’esprit d’entreprise et sur la qualité globale du service client, aux Etats-Unis comme au Canada. A réduire le travail à un ensemble de petites tâches mesurables, on fait passer indirectement le message suivant au salarié : ne te préoccupe pas de ce qui se passe avant ou après, occupe toi uniquement de ce qui impacte tes indicateurs personnels.
Et en acceptant cette organisation, les employés ne doivent pas s’étonner ensuite d’être peu à peu remplacés par des machines, ou des logiciels, finalement plus efficaces dans l’exécution de tâches parcellaires, guidées par des indicateurs.
En conclusion, je voudrais partager avec vous ce qui symbolise pour American Airlines, la valeur du client. Sur la photo ci-contre vous pourrez admirer le wrap-chips-coca offert généreusement par la compagnie aux clients après 5 heures de retard. Ce sont ces détails qui montrent, bien mieux que tout slogan publicitaire, la valeur qu’une entreprise attribue à ses clients. Je m’en souviendrai.
Et en acceptant cette organisation, les employés ne doivent pas s’étonner ensuite d’être peu à peu remplacés par des machines, ou des logiciels, finalement plus efficaces dans l’exécution de tâches parcellaires, guidées par des indicateurs.
En conclusion, je voudrais partager avec vous ce qui symbolise pour American Airlines, la valeur du client. Sur la photo ci-contre vous pourrez admirer le wrap-chips-coca offert généreusement par la compagnie aux clients après 5 heures de retard. Ce sont ces détails qui montrent, bien mieux que tout slogan publicitaire, la valeur qu’une entreprise attribue à ses clients. Je m’en souviendrai.